Lettre à un ami aimé :
Je ne saurais pas changer mon regard sur toi, il faudrait que je sois, non pas une autre créature, mais une composante du règne végétal ou minéral. La mer me sépare des rivages, mais l’affection est inséparable de la vie. Quelle différence y a-t-il entre affection et amour ? Les mots oscillent, et je sais ceci : si tu étais ici, je n’aurais pas peur de mourir. Aimer passionnément au moment de mourir.
Peut-il y avoir un départ plus radieux ?
Lorsque j’écris, je prends sur le temps qui te concerne. Tout le temps qui m’a été imparti te concerne. Toutes les lignes de ce journal sont vouées à l’amour, bien que je les dévie de leur vocation, comme je me détourne des assauts de la mémoire. J’ai recréé le silence afin de ne pas te nommer, en aucune occasion, même lorsque je suis seule. En chemin, j’ai appris à le savoir : l’amour ne se livre pas directement. Il se nourrit et se développe seul et il meurt à l’écart. Il est entraîné par les montées et les descentes du désir et ensuite abandonné comme un mendiant.
(…)
J’emploie tu sur cette feuille comme si j’allais l’introduire dans une enveloppe et te l’adresser. Mais à la dernière minute, je me rétracte, je ne t’adresserai pas cette lettre. Il ne s’agit plus, maintenant, de répondre aux tiennes : il s’agit de parler avec les dieux. Mouvement par désir de Dieu. Par désir, par désir. Mais je l’avoue : c’est à toi que j’adresse le cours infini de mon chant.
Je ne saurais pas changer mon regard sur toi, il faudrait que je sois, non pas une autre créature, mais une composante du règne végétal ou minéral. La mer me sépare des rivages, mais l’affection est inséparable de la vie. Quelle différence y a-t-il entre affection et amour ? Les mots oscillent, et je sais ceci : si tu étais ici, je n’aurais pas peur de mourir. Aimer passionnément au moment de mourir.
Peut-il y avoir un départ plus radieux ?
Lorsque j’écris, je prends sur le temps qui te concerne. Tout le temps qui m’a été imparti te concerne. Toutes les lignes de ce journal sont vouées à l’amour, bien que je les dévie de leur vocation, comme je me détourne des assauts de la mémoire. J’ai recréé le silence afin de ne pas te nommer, en aucune occasion, même lorsque je suis seule. En chemin, j’ai appris à le savoir : l’amour ne se livre pas directement. Il se nourrit et se développe seul et il meurt à l’écart. Il est entraîné par les montées et les descentes du désir et ensuite abandonné comme un mendiant.
(…)
J’emploie tu sur cette feuille comme si j’allais l’introduire dans une enveloppe et te l’adresser. Mais à la dernière minute, je me rétracte, je ne t’adresserai pas cette lettre. Il ne s’agit plus, maintenant, de répondre aux tiennes : il s’agit de parler avec les dieux. Mouvement par désir de Dieu. Par désir, par désir. Mais je l’avoue : c’est à toi que j’adresse le cours infini de mon chant.
Silvia Baron Supervielle / Journal d’une saison sans mémoire
© Éditions Gallimard, 2009
© Éditions Gallimard, 2009



Commentaires
Enregistrer un commentaire