Laisse les nuages blancs passer au soleil.
Il n’y a ici que toi, la terre et le ciel.
Ne pense à presque rien. Douces comme du miel,
auprès des cressons bleus les brebis viendront boire.
La fille chantera dans la métairie noire,
et sur la terre tiède il tombera des poires.
La vieille tremblera sur le rouet tremblant,
le bélier bêlera dans le troupeau bêlant
— et la fille aimera l’amour de son amant.
Les ânes passeront en frissonnant de mouches.
La mère chantera sur l’enfant qu’elle couche,
et je t’embrasserai, la bouche sur la bouche.
Puis le ciel sera bleu, puis le ciel sera gris.
Les oiseaux chanteront et pousseront des cris
et auprès du vieux puits il poussera des buis.
Écoute, mon amie : il y a sous la grange
un nid d’hirondelles petites et criardes
et qui ont la douceur de la vie calme et sage.
Les grands chars sont passés. Sur leurs cornes luisantes
les bœufs avaient les longues fougères ombrageantes
des bois glacés d’Été qui ont des sources lentes.
On a coupé les blés qui dormaient au soleil ;
puis la pluie est venue, elle est venue du ciel :
elle a noyé le blé et a mangé le miel.
On a coupé mon cœur qui dormait au soleil…
Une fille est venue, elle est venue du Ciel :
elle a noyé mon cœur et a mangé le miel :
mais la douleur est douce et ton amour est doux.
Tu m’as donné ton cœur, ta tête et tes genoux :
nous ne faisons plus qu’un et ton cœur est à nous.

Francis JAMMES - in  "De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir"




Commentaires

  1. L'homme ne sait plus ce que c'est qu'être deux.

    Louis Aragon - Que serais-je sans toi (1956)




    Obstination de la poésie

    Le siècle présent (le XXIe) maintenant fermement installé, la poésie continue à perdre du terrain dans les journaux : Le Monde des livres peut laisser passer une année entière sans rendre compte d’un seul livre nouveau de poésie française contemporaine ; les librairies, dont la majorité n’a même plus de rayon consacré à ce genre d’ouvrages, et la télévision (mais cela allait déjà de soi au siècle précédent) ne s’y intéressent pas. Une sorte de gêne empêchait jusqu’à récemment les autorités culturelles de tirer les conséquences de ce fait de société. Mais elles s’y sont finalement laissé aller, sans peut-être s’en rendre compte.
    (…)
    Cette situation a pour conséquence, ou est une conséquence de, la quasi-inexistence économique de la poésie — en tout cas de celle qui se compose en ce moment. La poésie ne se vend pas, donc la poésie n’a plus d’importance. La poésie n’a plus d’importance, donc ne se vend pas. Certes, ce genre littéraire n’est pas seul à voir s’affaiblir ses « parts de marché » sur la scène culturelle contemporaine. Le roman, la littérature en général, le livre même sont affectés. Mais dans le cas de la poésie, on a affaire à une forme extrême de cet effacement.

    Jacques Roubaud ( Janvier 2010, pages 22 et 23 du Monde Diplomatique)

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    1. @Aramis, merci merci, j'ai lu l'article en entier, c'est fort intéressant.. Puis merci pour le rebond d'Aragon qui est criant de vérité !

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